Langue écarlate

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Langue écarlate
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Langue écarlate

Autre(s) nom(s) Langue à l'écarlate
Place dans le service entrée, garniture, plat
Température de service Chaud ou froid
Ingrédients langue de bœuf
Accompagnement sauce tomate, sauce madère, sauce picante
Classification entrée, garniture
Classement dit feu tricolore (gras, gras saturé, sucre, sel) charcuterie

La langue écarlate ou langue à l'écarlate est une spécialité charcutière[1]. Elle se fait d'une langue de bœuf colorée en rouge jadis au salpêtre puis au carmin de cochenille ou au jus de betterave, cuite dans une baudruche de bœuf (gros intestin).

Dénomination[modifier | modifier le code]

Ecarlate était un rouge magnifique obtenu d'un parasite du chêne[2]. A l'écarlate est une expression qui désigne un mode de préparation des viandes afin de leur donner une belle couleur rouge-rosé[3]. Langue à l'écarlate apparait dans les publications numérisées au début du XIXe siècle, à partir de 1850 langue écarlate est plus fréquent avec un maximum d'occurrences pendant l'entre-deux-guerres, haute période de la gastronomie francophone[4].

Le Larousse gastronomique traduit à l'écarlate par pickled: pickled ox tongue pour Langue de bœuf à l'écarlate[5].

Histoire[modifier | modifier le code]

L'expression figure chez François Massialot en 1730: tête de bœuf à l'anglaise ou à l'écarlate, roulade de bœuf en écarlate, bœuf à l'écarlate à la manière des Flandres cuit au salpêtre o une autre version avec saumure. Ce bœuf est servi froid[6]. En 1755, Les souper de cour donne une servion sans salpêtre colorée au genièvre concassé[7]. En 1749, Menon donne une recette de fromage à l'écarlate qui est une sorte de flan (à la crème et aux œufs) d'écrevisses[8]. Mais il faut attendre l'Almanach des gourmands (1803) pour qu'apparaisse la langue à l'écarlate dans l'article épinard (qui en est la garniture usuelle[9]) ou comme farce de la poularde au riz[10]. L'usage de l'expression va croissant jusqu'à 1900 où il atteint un sommet jusqu'en 1940[11].

Elle intervient dans de nombreuses préparations de la cuisine classique. Marc Lafrance qui en donne une recette (Le charcutier Broyer en produit à Montréal dès 1818) fait la liste des utilisations: salpicons pour hors-d'œuvre, petites entrées (croquettes, les cromesquis,vol-au-vent), plat froid ornemental (en gelée[12]), chaude sauce piquante[13]. Caréme recommande la sauce tomate, la soubise, la poivrade avec des garnitures de champignons, de petits pois, de pointes d’asperges, etc.

Elle est toujours employée de nos jours. Osamu Tsukamoto, Champion du monde de pâté croûte 2019 utilise une garniture de langue écarlate marinée au Cognac et au Porto.

Poularde a la Godard avec crêtes, truffes et langue écarlate

Traditions culinaires[modifier | modifier le code]

Tradition juive[modifier | modifier le code]

La langue d'écarlate était un ruban (fil rouge) qu'on liait entre les cornes du bouc Hazahel[14]. La langue écarlate à la juive[15] est une spécialité juive ashkénaze: langue de bœuf cuite en saumure colorée au carmin de cochenille[16] où à la betterave rouge, qui dans la tradition est une des charcuteries indispensables de la table de shabbath ou des jours de fête[17].

Cuisine italienne[modifier | modifier le code]

La lingua salmistrata (langue en saumure) ou lingua alla scarlatta langue écarlate[18] est une spécialité de la Vénétie, de Lombardie, de l’Émilie, du Frioul et du Trentin (apparait en 1841, chez Antoine Claude Pasquin à propos d'une langue de mouton en saumure à qui les herbes de montagne donnent un gout excellent[19]). Elle est saumurée et colorée au salpêtre[20]. On la sert chaude en bouillon du Piémont, à la sauce verte ou froide avec les risottos, les salades, les pâtes et à la moutarde aux fruits (Mantoue)[21].

On cite en italien le vers de Giacomo Leopardi qui dit que le cœur ressent la satiété de toutes choses sauf de la langue[22] en pensant à la langue écarlate[23],

« Il cor di tutte cose alfin sente sazietà,

del sonno, della danza, del canto e dell’amore,

piacer più cari che il parlar di lingua;

ma sazietà di lingua il cor non sente; »

il faut comprendre qu'on ne ressent jamais la satiété des mots, du langage[24].

Cuisine classique[modifier | modifier le code]

Poularde Café de Paris (1927) garniture de langue écarlate[25]

Garniture[modifier | modifier le code]

Elle intervient comme garniture des consommés (consommé florentine)[26] des hâtereaux (riz de veau, cervelle)[27], des poulardes[25], des célestines (salpicon truffé)[28], des galantines[29], des terrines[30], pour piquer les viandes[31] pour le gout et la décoration des aspics[32] les filets de perdreau[33], des salades de pommes de terre[34], de la pizza Zingara. La Cuisine du Cordon bleu la fait figurer dans la garniture Mogador (croquettes, laitues farcies), la garniture à la Montglas (foie gras, champignons)[35]. Dans les sandwichs[36].

La garniture Agnès Sorel, dédiée à la favorite (qui avait une excellente table, et c'est de cette époque que date la culture du champignon de Paris[37]) par Escoffier[38], est faite de champignons de Paris, blanc de poulet et langue écarlate[39], on la retrouve dans les Timbales Agnès Sorel, la crème ou velouté Agnès Sorel [40].

Plat[modifier | modifier le code]

jambon et langue écarlate

La langue écarlate chaude se sert au gratin, rôtie[41], aux fines herbes[41], à la purée d'oseille[42], etc.

Préparation[modifier | modifier le code]

Joseph Favre donne les deux recettes usuelles (langue fourrée et langue en baudruche) avec une description précise des marinades[43]. Les étapes sont le saumurage, la marinade assaisonnée, puis la cuisson avec ou sans baudruche de bœuf.

La langue écarlate peut aussi se faire avec une langue de porc[44].

Anthologie[modifier | modifier le code]

« L’un des plus ardents soutiens de l’initiative française a été, jusqu’à sa mort toute fraîche, le cardinal Jean-Marie Loustic [ ] il défendait cette cuisine immatérielle contre le matérialisme de la cuisine moléculaire. Il prenait appui sur des recettes transcendantes, comme celle de la poularde farcie de langue à l’écarlate, de la crème Bourdaloue et des œufs à la Cardinal. [ ] Malgré ces arguments de poids en faveur de l’immatérialité de la cuisine française, le débat est animé au sein de l’Unesco. La conformité aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme, ainsi que l’exigence d’un développement durable ne semblent pas toujours assurées dans les cuisines françaises. »

  • Marie-Claire - Le Carnet de Marie-Claire. 25 octobre 1941 p. 21[46].

« A un dîner chez Mme d'Aubernon, dont le salon littéraire fut célèbre à la fin du siècle dernier, le maître d'hôtel, en servant une langue à l'écarlate, renverse le plat sur l'épaule d'Alfred Capus. Celui-ci dit : Ce n'est rien madame, c'est un lapsus lingual.

Un raseur ignorant, au diner suivant, demande en sourdine le menu au maître d'hôtel, le prie de renverser la sauce du saumon sur lui et s'écrie : C'est un lapsus lingual... Et personne ne rit. »

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Langue de boeuf écarlate - Metzger Muller », sur Metzger Muller - Maître Charcutier d'Alsace - Le Régal des alsaciens (consulté le )
  2. Charles (1661-1741) Auteur du texte Rollin, Histoire ancienne des Égyptiens, des Carthaginois, des Assyriens, des Babyloniens, des Medes et des Perses, des Macedoniens, des Grecs. Tome 5 / . Par M. Rollin,..., (lire en ligne), p 552
  3. « ÉCARLATE : Définition de ÉCARLATE », sur www.cnrtl.fr (consulté le )
  4. (en) « Google Books Ngram Viewer », sur books.google.com (consulté le )
  5. (en) Hamlyn, New Larousse Gastronomique, Octopus, (ISBN 978-0-600-63587-1, lire en ligne)
  6. François (1660?-1733) Auteur du texte Massialot, Le Nouveau cuisinier royal et bourgeois. Tome 3 / ; qui apprend a ordonner toute sorte de repas en gras & en maigre, & la meilleure maniere des ragoûts les plus délicats & les plus à la mode , & toutes sortes de pâtisseries : avec des nouveaux dessins de tables..., 1722-1730 (lire en ligne), p 96
  7. Joseph (1700?-1771) Auteur du texte Menon, Les soupers de la Cour, ou L'art de travailler toutes sortes d'alimens, pour servir les meilleures tables, suivant les quatre saisons. Tome 1, (lire en ligne), p 194
  8. Joseph (1700?-1771) Auteur du texte Menon et Étienne Lauréault de (1694-1779) Auteur du texte Foncemagne, La science du maître d'hôtel cuisinier , avec des observations sur la connaissance & propriétés des alimens, (lire en ligne), p 394
  9. Alexandre-Balthazar-Laurent (1758-1837) Auteur du texte Grimod de La Reynière et Charles-Pierre (1732-1808?) Auteur du texte Coste d'Arnobat, « Almanach des gourmands : servant de guide dans les moyens de faire excellente chère / par un vieil amateur », sur Gallica, (consulté le ), p. 50
  10. Almanach des gourmands: ou calendrier nutritif, servant de guide dans les moyens de faire excellente chère ..., Maradan, (lire en ligne), p 155
  11. « Nos offres d'Abonnement », sur RetroNews - Le site de presse de la BnF (consulté le )
  12. Urbain Dubois et Emile Bernard, La cuisine classique : études pratiques, raisonnèes et dèmonstratives de l’école francaise, E. Dentu, editeur, Palais-royal, Paris, (lire en ligne), p 38
  13. Marc Internet Archive, A taste of history : the origins of Québec's gastronomy, [Montréal] : Éditions de la Chenelière, (ISBN 978-2-89310-028-9, lire en ligne), p 142
  14. Histoire Critique Des Dogmes Et Des Cultes, bons & mauvais, qui ont été dans l'Elise depuis Adam jusqu'à Jesus-Christ, Ou L'on trouve l'origine de toutes les Idolatries de l'ancien Paganisme, expliqués par rapport A Celles Des Juifs: 1, Chez Francois L'Honore, & Compagnie, (lire en ligne), p 340
  15. Michel Gurfinkiel, Le Roman d'Israël, Editions du Rocher, (ISBN 978-2-268-09982-8, lire en ligne)
  16. Rémi Dechambre, Le dimanche des chefs, Larousse, (ISBN 978-2-03-595010-9, lire en ligne), p 106
  17. « Langue écarlate », sur Michel Kalifa - Maison David (consulté le )
  18. (it) Giuseppe Amico, Pellegrino Artusi et Alan Revolti, Alimentazione e Food - Nutrizione, Trucchi e Segreti in cucina, Ricette, Consigli (Cofanetto 3 Ebook Cucina), Giuseppe Amico, (ISBN 978-605-04-2015-9, lire en ligne), p 230
  19. (en) Antoine Claude Pasquin, Italy and its comforts, manual of tourists, by Valery, (lire en ligne), p 58
  20. (it) « LINGUA SALMISTRATA - ricetta tradizionale veneta », sur Nella cucina di Laura (consulté le )
  21. seo, « Traditionnelle langue en saumure », sur Salumi Pasini (consulté le )
  22. (it) « Canti (Leopardi - Donati)/Appendice/I.III.IV.I - Wikisource », sur it.wikisource.org (consulté le )
  23. (it) Alberto Capatti, Pellegrino Artusi, Jumpstart request for Mondadori Libri Electa Trade, (ISBN 978-88-510-5340-6, lire en ligne)
  24. (en) ~ Walter Sh et y, « Ma sazietà di lingua il cor non sente », sur Extracts, (consulté le )
  25. a et b La Cuisine et la Pâtisserie expliquées du "Cordon-Bleu", divisé en deux parties. 1° Etude complète des bases fondamentales de la cuisine et la pâtisserie, des substances alimentaires et de toutes les opérations culinaires qui comporte l'apprèt des mets. 2° Recueil complet des recettes de cuisine, pâtisserie, confiserie, glaces, confitures, sirops, etc., classées méthodiquement d'après la règle des menus ; additionné d'une nomenclature de menus répartis pour tous les mois de l'année, (lire en ligne), p 390
  26. Le guide culinaire : aide-mémoire de cuisine pratique / par A. Escoffier ; avec la collab. de MM. Philéas Gilbert, E. Fétu, A. Suzanne... [et al.], Art culinaire (Paris), (lire en ligne), p 14
  27. Nouveau dictionnaire encyclopédique universel illustré : répertoire des connaissances humaines. Vol. 3, FRAN-MECO / réd. par une société de littérateurs, de savants et d'hommes spéciaux sous la dir. de Jules Trousset,..., 1885-1891 (lire en ligne), p 235
  28. Marie-Nicolas (1798-1865) Auteur du texte Bouillet, Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts... (Nouvelle édition, entièrement refondue) / M.-N. Bouillet, (lire en ligne), p 275
  29. Pierre (1817-1875) Auteur du texte Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle : français, historique, géographique, mythologique, bibliographique.... T. 8 F-G / par M. Pierre Larousse, 1866-1877 (lire en ligne), p 934
  30. « L'Ouest-Éclair », sur Gallica, (consulté le )
  31. La Cuisine De Référence Techniques Et Préparations De Base, Fiches Techniques De Fabrication (lire en ligne)
  32. « Le Monde artiste : théâtre, musique, beaux-arts, littérature », sur Gallica, (consulté le )
  33. J.-A. Auteur du texte Thorre, L'Indicateur des mets, ou Précis de la composition des préparations culinaires modernes, et de leurs qualités alimentaires, etc. ... par J.-A. Thorre,..., (lire en ligne), p 77
  34. Martine Internet Archive, Merci M. Parmentier ou la gloire de la pomme de terre en 200 recettes, Paris : Robert Laffont, (ISBN 978-2-221-04653-1, lire en ligne)
  35. La Cuisine et la Pâtisserie expliquées du "Cordon-Bleu", divisé en deux parties. 1° Etude complète des bases fondamentales de la cuisine et la pâtisserie, des substances alimentaires et de toutes les opérations culinaires qui comporte l'apprèt des mets. 2° Recueil complet des recettes de cuisine, pâtisserie, confiserie, glaces, confitures, sirops, etc., classées méthodiquement d'après la règle des menus ; additionné d'une nomenclature de menus répartis pour tous les mois de l'année, (lire en ligne), p 226
  36. L'Union libérale, (lire en ligne), p 4
  37. FERRET CHRISTIAN et EDITIONS BPI, TP RESTAURANT, Editions BPI (ISBN 978-2-85708-903-2, lire en ligne), p 252
  38. Henri Internet Archive, L'histoire à la casserole : dictionnaire historique de la gastronomie, [Paris] : Gallimard, (ISBN 978-2-07-045952-0, lire en ligne), p 394
  39. « Agnès Sorel », sur Gastronomiac (consulté le )
  40. Auguste (1846-1935) Auteur du texte Escoffier, L'Aide-mémoire culinaire, suivi d'une étude sur les vins français et étrangers à l'usage des cuisiniers, maitres d'hôtels et garçons de restaurant / A. Escoffier, (lire en ligne)
  41. a et b Alexandre (17-18 ; littérateur) Auteur du texte Martin, Bréviaire du gastronome, ou L'art d'ordonner le dîner de chaque jour, suivant les diverses saisons de l'année . Pour la petite et la grande propirete. Précédé d'une histoire de la cuisine française, ancienne et moderne. Par Alexandre Martin. Deuxième édition..., (lire en ligne)
  42. L'Union libérale, (lire en ligne), p 4
  43. Joseph FAVRE, Dictionnaire universel de cuisine pratique, Place des éditeurs, (ISBN 978-2-258-08877-1, lire en ligne), p 496
  44. Gustave (1816-1907) Auteur du texte Heuzé, Le Porc, par Gustave Heuzé,..., (lire en ligne), p 221
  45. Alain Monnier, « Cuisine immatérielle / Immaterial Cuisine », ASDIWAL. Revue genevoise d'anthropologie et d'histoire des religions, vol. 2, no 1,‎ , p. 132–136 (DOI 10.3406/asdi.2007.875, lire en ligne, consulté le )
  46. Marie-Claire, (lire en ligne)

Liens externes[modifier | modifier le code]

  • Comment découper une langue écarlate [1]
  • La crème Agnès Sorel dans Wikisource [2]

Voir aussi[modifier | modifier le code]